Message de Fabrice - "Le 18ème jour et final du Rhum 2022"

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Il manquait le récit des derniers milles parmi les plus intenses de ma carrière de marin ! 

 

Effectivement je me retrouve à croiser avec Philippe Poupon [Flo] au sud de la Guadeloupe, il part vers la Désirade, je ne cherche pas à le marquer en changeant de bord à son passage, il est de toute façon plus rapide que moi, feignons l'ignorance, je continue mon bord au large jusqu'à empanner pour me positionner sur une trajectoire à 2,5 milles de la Tête à l'Anglais.

Le vent est toujours soutenu, nous nous retrouvons au nord de l'île avec Philou [Philippe Poupon - Flo]  très proches à nouveau, lui plus à la côte, moi qui pensait profiter tranquillement de ce tour de Guadeloupe pour savourer les paysages et ces derniers instants en mer, on me colle un des vainqueurs de la Route du Rhum [- Destination Guadeloupe] dans un duel de dernière minute...

L'arrivée près des falaises est magnifique, nous nous approchons de Deshaies au soleil couchant, Philou a profité d'une rafale dans la baie avant moi pour prendre de la distance, il est très loin maintenant...

Le long de la côte dans une lumière rasante on voit le vent catabatique qui descend des montagnes dense et froid avec violence. Le vent arrive soudainement comme une ombre sur l'eau et monte très vite, c'est impressionnant ! J'ai la main sur le chariot de grand voile, prêt à libérer la pression pour ne pas risquer un chavirage, le bateau part comme une fusée à plus de 22 noeuds c'est effrayant et magique à la fois.

J'aperçois une deuxième voile au loin et une horde de bateaux accompagnateurs (c'est Rodolphe Sépho le premier guadeloupéen et son comité d'accueil), j'espère juste ne pas avoir de bateaux à me suivre. Et puis je me rapproche de plus en plus, je vais voir sur l'ordinateur leur positions AIS [système automatique d'identification] et leur vitesse quasi nulle, ils sont en panne de vent ! Je tente l'option plus éloignée de la côte, j'ai toujours une bonne vitesse et je me dis que tout se joue ici, presque trop facilement, je les dépasse effectivement pour m'arrêter un peu plus loin au large...Tout est à refaire !

Le routeur m'avait prévenu tu colles à la côte, le vent arrive de terre la nuit, mais là c'est la période de transition entre les brises de jour et de nuit, tout le monde est arrêté, chacun dans un sens différent tels des jouets posés sur un bassin...

Voilà qu'après une transatlantique, il faut se mettre en mode course du Figaro à qui repartira le premier avec de minces filets d'air... Chacun y va de sa technique mais dès que le bateau redémarre le vent s'arrête, change de 180 degrés voire de 360... un coup vers le large, un coup vers la côte, ça va durer des heures dans la nuit. Je pense attraper le train vers la bouée de Basse Terre le premier, mais non je suis trop loin de la côte, et c'est forcément le guadeloupéen qui s'en tire le premier à ce petit jeu !

Du coup tous mes essais de redémarrage du bateau je les dirige perpendiculairement à la côte pour me rapprocher jusqu'à un demi mille, c'est très prêt, on voit bien les lumières des maisons, on entend les voitures passer, mais petit à petit des bouffées d'air arrivent du bon côté et je peux m'échapper avant Philou !

Le bateau est reparti, collé au maximum à la côte au niveau de Vieux Habitants pour entrer dans la Baie de Basse Terre, le vent froid arrive par instant des montagnes violemment, le ciel est très chargé, je redoute des grains, je fais route sur le waypoint de la bouée qui est très très proche de la côte...

Une fois arrivé dans la baie, plus de vent, mieux que ça le vent qui arrivait de la terre, vient d'arriver de la mer, les voiles sont à contre le bateau arrêté... Heureusement je venais juste de rouler ma grande voile d'avant, pour une plus petite plus manoeuvrable.

Je me retrouve dans la même situation que tout à l'heure mais cette fois très près de la plage, je ne vois toujours pas la bouée... je n'arrive pas à relancer le bateau et sans vitesse je ne peux pas virer de bord ou empanner, et ma seule option c'est de continuer à aller vers la côte pour reprendre de la vitesse, moment de panique, je ne vais pas finir sur la plage comme mon ami Erwan [Tiboumery - Interaction] avec son trimaran ! Je pense un instant démarrer le moteur, ce qui signifierait l'abandon de la course,  je mets le sondeur 80 mètres, plus plus rien que des traits, j'entends une alarme à l'intérieur, c'est peut-être l'alarme de profondeur insuffisante...je me ressaisi et décide de tenter le tout pour le tout, continuer à avancer vers la plage pour avoir suffisamment de vitesse et m'écarter de la côte, le vent revient de la terre suffisamment fort pour reprendre le contrôle et m'éloigner du bord, mais toujours pas de bouée, alors que mon ordinateur m'indique être à sa hauteur, je ne vais pas faire demi tour quand même !

Ouf je l'aperçois enfin dans la nuit, une faible lueur à son sommet, quel scandale cette marque de parcours... La frayeur de ma vie.

Je m'éloigne de Basse Terre alors que je vois Philou arriver à son tour dans la baie avec un vent régulier et mon bateau qui lui donne la position de la marque...

Prochaine étape avant le canal des Saintes, se rapprocher de la pointe du Vieux Fort pour gagner le plus possible en cap parce que le vent et la mer peuvent être très forts dans le canal et qu'il faut passer l'archipel des Saintes sur un seul bord...

Il faut choisir sa voilure avant de déboucher dans le canal, après ce n'est plus le temps de manoeuvrer, c'est trop risqué dans cette mer formée, et effectivement je suis cueilli dès le début par 25 noeuds de vent je suis un peu trop toilé avec la grand voile haute mais il faut que je fasse du cap ! Malheureusement le vent est plein Est, de face et impossible de passer les Saintes sur un bord... Je continue malgré tout jusqu'à rentrer presque dans l'archipel près des bateaux au mouillage et je vire, le pilote ne tient pas le cap avec cette mer et le vent, il faut que je reste à la barre très proche de l'axe du vent pour ne pas aller me coller sur la côte de Capesterre qui est un autre piège à éviter (dixit le routeur !). Le bateau marche très vite 18, 20 noeuds, je suis sous les embruns, mais le spectacle est magnifique avec la lune et le ciel étoilé. Je vais arriver très vite sur la ligne, c'est la nuit hélas, pas de spectacle pour les autres, pas d'images du bateau franchissant la ligne, c'est dommage, on ne choisit pas son arrivée, quelque part ça m'oblige à profiter du spectacle pour le raconter plus tard et puis c'est ma Route du Rhum, cette expérience n'appartient qu'a moi, j'en ai rêvé depuis que j'ai 10 ans et je suis en train de la terminer à pleine vitesse sur un multicoque avec une seule jambe, c'est juste magique !

J'arrive enfin à vitesse plus réduite sur la ligne. Le vent décroit toujours près de la côte, j'aperçois mon équipe et les bateaux de l'organisation, ça y est je l'ai fait !

Mes équipiers montent à bord, on se salut comme on s'est salué au départ à Saint-Malo 18 jours plus tôt. Arrivée au Mémorial Act, beau comité d'accueil malgré l'heure, merci à tous d'être là, de près ou de loin, en pensée, vous m'avez porté avec votre énergie !